J’aime beaucoup relever les étrangetés du quotidien.
Ce n’est pas tous les jours que le hasard fait irruption pour m’offrir d’un seul coup toute une branche de mon ascendance.
La plupart du temps, ce sont les éléments des petites vies de tous les jours que j’aime voir déranger dans leur organisation régulière.
Pour Oran, c’est plus compliqué parce que je n’y vis pas. Je regarde tout ça de loin, à la fois dans l’espace, et dans le temps.
Je lis rarement des comptes-rendus sur les choses étranges à Oran. Il doit y en avoir mais je ne les scrute pas suffisamment. On ne peut pas tout faire.
Tout à l’heure, je me replongeais dans Amédée Moreno pour le plaisir de lire quelques lignes au hasard et me remettre dans l’ambiance oranaise après avoir écrit deux articles un peu trop personnels, lorsque le hasard (sic) me projeta dans de l’étrange.
Et j’ai pensé qu’il était aussi bien d’écrire aujourd’hui un article léger qui permettrait de rejoindre Oran en douceur.
« Combien sont-ils, les Oraniens se souvenant de cette affaire qui éclata un matin dans la presse, sur huit colonnes à la une, au début des années cinquante, si je ne me trompe ?
Pendant des semaines, les journaux exploitèrent ce « scoop » formidable et il n’était plus question que de cela dans la rue, dans les cafés, au marché, dans les chaumières, partout : l’événement du siècle !
De quoi s’agissait-il donc ?
De la découverte d’or à l’état natif et en paillettes, à une soixantaine de kilomètres au sud-est d’Oran, dans la région des Chorfas au pied des Monts Béni-Chougran, au sud de Saint-Denis-du-Sig.
Michel Follana, un industriel de Saint-Eugène qui possédait un terrain là-bas, fut un jour alerté par l’un de ses employés.
Celui-ci, au cours de travaux, venait de découvrir des concrétions pierreuses noirâtres, dans lesquelles des petites inclusions dorées et brillantes semblaient indiquer la présence de sulfures. Les ouvriers en avaient ramassé quelques couffins et M. Follana décida de faire analyser ce minéral dans un laboratoire oranais.
Peut-être ne s’agissait-il que de vulgaire pyrite ; on le saurait sous peu…
Cependant, y eut-il une fuite, ou bien les esprits se mirent-ils à s’échauffer et à se livrer aux élucubrations les plus fantaisistes ? Toujours est-il que la presse eut vent de l’affaire et s’en empara, de telle sorte qu’un beau matin, les Oranais furent informés qu’un nouvel Eldorado venait de naître à moins d’une heure de chez eux !
Imaginez un peu la fièvre de l’or qui s’empara alors de nos concitoyens ! Je me souviens que certains parlaient de tout vendre et tout quitter pour rejoindre les Chorfas afin d’y trouver fortune.
D’autres se lançaient dans des idées de projets les plus fous car, ils n’en doutaient point, l’Oranie allait devenir une nouvelle Californie ! Il fallait les entendre s’enflammer pour ce qui devait devenir sous peu le pays de cocagne où les Crésus seraient légion !
Et l’Echo d’Oran en rajoutait chaque jour, précisant que l’Oranie devait son nom, précisément, à ce fabuleux métal qui donne la fièvre : Oran ne signifiait-il point « le pays de l’Or » ? D’ailleurs chacun savait que, depuis la nuit des temps, notre bonne ville était un de ces presides espagnols qui commerçaient avec les pays méditerranéens, en leur vendant de la poudre d’or et des pierres précieuses, entre autres…
Comme cela était arrivé avec le hongo, la fièvre se calma puis tomba d’elle-même, jour après jour. Finis les articles de presse tonitruants, les interviews machiavéliques, les supputations hasardeuses. Mieux même, personne ne songea à s’informer de la nature réelle du minéral trouvé dans les Chorfas. Le propriétaire lui-même se tint coi et étouffa pour toujours cette affaire… d’or. » (Amédée Moreno – Le parler des pieds-noirs d’Oran et d’Oranie – Tome 2 – p186-187)
Je regrette qu’on ne puisse plus trouver Amédée Moreno en librairie. Je trouve ça injuste. Il y a des anecdotes remarquables.
Comme il donnait une période très vague autour du « début des années cinquante » je suis allé voir du côté d’Edgard Attias et de son livre Oran de tous les jours – 1830-1962 construit à partir de la juxtaposition d’articles de l’Echo d’Oran et de Oran Républicain pour tenter de trouver trace de l’anecdote d’Amédée Moreno.
Je n’ai rien vu.
Mais je suis tombé sur la panthère.
« Une panthère dans un arbre, rampe Valès. Au Barnum’s circus, au moment où les fauves sont conduits de leurs cages à la piste, une panthère trompa la vigilance de son gardien, d’un bond prodigieux renversa les grilles et se trouva au grand air qu’elle huma avec délices.
Descendant avec nonchalance la rampe Valès vers le port et ne comprenant pas l’effroi des quelques passants qu’elle croisait, elle avisa un arbre à l’entrée de la promenade de Létang et sauta sur une branche maîtresse où elle s’installa.
Mais les gardiens du cirque accoururent et les agents de service organisaient un barrage empêchant le passage des voitures et des piétons. le fauve pris au lasso regagna d’un pas fier sa cage comme si rien ne s’était passé. »
C’était l’extrait de l’article. Edgard Attias conclut en remarque : Par contre, vers le 18 janvier, on pouvait voir en première page d’un hebdomadaire parisien, un dessin digne des aventures dans la jungle, avec cette légende : « Panique à Oran. La panthère noire s’est évadée, c’est la panique dans toute la ville ! »
On peut se demander dans quelle mesure ce titre parisien n’est pas une énième trace de la condescendance métropolitaine à l’égard de ses départements lointains.
A méditer.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)