Le ravin blanc n’est plus vraiment blanc, mais la cheminée est toujours là.
Je m’étonne de ne pas l’avoir repérée plus tôt.
Je crois que depuis Santa Cruz, le regard est attiré vers le port, vers la ville, et vers la Montagne des Lions, dans le lointain.
On ne voit pas tout de suite cette cheminée, ou plus exactement, comme beaucoup d’éléments un peu trop évidents, le cerveau fait abstraction.
Je pense que je l’ai remarquée au détour d’une photo que je n’ai pas sous la main mais qui montre la ville depuis l’est. Là, on se trouve avec la cheminée au premier plan et on se demande d’où sort cette grande forme verticale en plein milieu de la photo.
Au début, j’ai vraiment trouvé cette cheminée disgracieuse, et puis c’est comme le théâtre rococo ou l’hôpital abandonné, on finit par s’habituer et à ne plus vouloir que les choses se présentent autrement.
« Au début du mois de mars [1951] la centrale thermique du Ravin Blanc prend sérieusement tournure. La cheminée grandit, elle aussi. Deux chaudières sur quatre sont en place. Chacune d’elles, de 40 m de hauteur, produit 70 tonnes de vapeur – et 90 tonnes de fumée – à l’heure, à une température de 500 degrés.
Elles consomment 6 tonnes de charbon pulvérisé à l’heure et sont aménagées pour brûler du charbon purement algérien : de Kénadsa et de Béchar. Dans un an, l’usine du Ravin Blanc tournera avec deux groupes de 25.000 kw.
La cheminée est la curiosité n°1. C’est la plus haute d’Europe. Sa base a 13 mètres de diamètre, l’orifice supérieur, 6 mètres. Haute de 140 mètres, elle dépassera de 80 mètres le niveau de la falaise.
Les techniciens assurent qu’elle ne crachera pas ses fumées sur les Oranais ! Elles seront dépoussiérées et rendues invisibles avant évacuation. »
Je ne sais pas si la cheminée est importante pour les Oranais mais elle l’est pour moi.
Lorsque je regarde le port maintenant, je pense que mon regard s’assure en premier de la présence de la cheminée avant de poursuivre sa route vers la ville ou les digues.
L’autre jour, sur Facebook, une Algérienne d’Oran désirait discuter. Elle était de Gambetta, à l’est d’Oran. Pour en savoir davantage, je lui ai alors demandé si elle était plutôt à l’intérieur du quartier ou plutôt du côté du port, vers la cheminée.
Elle m’a répondu du côté du port, vers la cheminée.
C’est là que j’ai compris l’importance pour moi de cette cheminée. Elle est comme un énorme mat de bateau, comme le mat du bateau le plus grand du port, à l’entrée des digues, au pied des falaises.
Elle est un repère d’Oran au même titre que Santa Cruz, la place d’armes ou la cathédrale.
Elle est un pavillon qui flotte à l’entrée du port, comme la capitainerie.
Elle est le phare.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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