En 1932, le Commandant Kiener est chargé d’une mission délicate : aménager des abris de défense anti-aérienne pour Oran.
On est quand même bien loin de la seconde guerre mondiale, Hitler n’est pas encore Chancelier, je ne comprends pas vraiment le sens de la mission confiée au Commandant Kiener.
Edgard Attias – de qui je vais tirer une partie de cet article – n’en dit pas davantage dans son livre « Récits autour d’Oran » ; si quelque bonne âme en connaît la raison, qu’elle n’hésite surtout pas à se manifester dans les commentaires.
Il est vrai qu’Oran est une cité dont le sous-sol est un véritable gruyère.
Les Espagnols comme les Turcs y ont construit un réseau de galeries souterraines incroyable… et inconnu. Le rôle du commandant Kiener est donc de partir à la pêche aux documents dans le but d’établir un plan détaillé du sous-sol de la ville.
Plus facile à dire qu’à faire et pour au moins trois raisons :
- Ce sont les Espagnols qui ont construit la majorité du réseau durant les deux périodes de leur présence, et les documents ont toujours été gardés strictement secrets. (Donc difficiles à retrouver).
- D’autre part, aucun travail de synthèse n’a jamais été réalisé : chaque gouverneur connaît son réseau mais pas celui de ses prédécesseurs.
- Enfin, du côté d’Eckmühl, certaines galeries sont d’origine maure, et dues au Bey Mouchlaghem. Impossible d’en retrouver les plans.
Le Commandant Kiener va alors prendre les choses par l’autre bout et décider de s’engager dans les ouvertures déjà existantes pour confronter les trajets effectués avec les plans qu’il possède déjà.
Il existe un nombre incroyable de galeries, éparpillées dans tous les sens, et quasiment impossibles à énumérer sans perdre le lecteur en cours de route.
Relevons tout de même quelques points essentiels :
→ Sous la Casbah, le Commandant Kiener sait qu’il existe une grande caserne souterraine, et qu’on peut y pénétrer par la rue de l’Intendance. Il faut juste déblayer le passage. Ce sera fait et le lieu constituera l’un des meilleurs abris des Bas-Quartiers, avec la possibilité d’y loger près de 4.000 personnes.
→ Au-delà de la Casbah, vers le Sud, se trouve le Fortin de San Pedro, d’où part une galerie longue de plus de 100m, plusieurs petites galeries vers les Planteurs, et probablement une galerie vers la porte de Tlemcen, visible sur les plans mais impossible à localiser sur le terrain.
→ Vers l’Est, au Fortin de Santiago, une trappe conduit vers le fort Saint Grégoire et un embranchement se dirige peut-être vers Santa-Cruz.
→ Rosalcazar est aussi percé de très nombreuses galeries :
- L’une d’elles a été aménagé en abri et les élèves de l’école Bastrana pouvaient y accéder par une entrée percée dans la cour de l’établissement.
- Une autre fut mise à jour sous la rampe Valès (Cdt Ferradj) et incorporée au système d’abris du Lycée de garçons.
- La plus importante (sur les plans) aboutit à Saint-André en traversant la place d’Armes. Mais impossible d’en retrouver l’entrée.
Et d’autres encore, partiellement connues, qui ne figurent sur aucun plan mais dont l’existence a pu être établie. Il faut se procurer le livre d’Edgard Attias pour en savoir davantage. On en trouve des dizaines.
Et puis il y a le Tambour San José.
Tambour San José qui se trouve « à la naissance de la rue des Jardins, rue ouverte en 1845 à travers des terrains jusque là consacrés à la culture des légumes, des fruits et des fleurs. » (Eugène Cruck)
C’est drôle comme ce Tambour San José est venu prendre place dans la ville.
Par certains aspects, il me rappelle la porte du caravansérail, à qui il est aussi arrivé des mésaventures très éloignées de ce qu’elle est sensée être par nature.
Par nature, le Tambour San José est tout de même l’entrée d’un important réseau souterrain constitué de 500 mètres de galeries aménagées par les Services de la Défense Passive, et pouvant abriter 2.850 personnes.
Mais par accident (comme on le dit pour signaler le fait qu’il peut être à la source de beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec sa fonction d’origine) on peut relever quelques petits délices dont Edgard Attias aime toujours faire part :
- Drôle : Le Tambour San José ne cesse de se faire emboutir depuis que la chaussée de la rue Philippe a été refaite et que la circulation a changée de sens dans la rue des Jardins.
- Conséquence du point n°1 ? : Les amis du Musée et du Vieil Oran écrivent à la Municipalité :
[…] Le tambour du bastion « San José » au bas de la rue des Jardins vient d’être absolument défiguré par les services municipaux qui, sous prétexte de restauration, ont recouvert ces vieilles pierres d’une couche de ciment, laquelle en faisant disparaître la patine du temps et faussant la date de 1738 figurant sur les armoiries d’Espagne les ont rendues absolument méconnaissables. »
Réponse une semaine plus tard :
« Concurremment, les Services techniques municipaux ont remis dans son état primitif le Tambour San José. » - Musical : « La Fanfare des amis réunis » (Société de préparation militaire) s’est installée dans le vestibule en 1925 et s’en est servi comme local de répétitions. Difficile d’imaginer ce lieu comme une salle de concert.
Sur le mur du fond du vestibule se trouve une porte intérieure ouvrant sur un souterrain qui assure la communication entre tous les fortins qui encerclaient Oran.
Il faut dire qu’en 1738 (seconde présence espagnole) l’entrée de la ville, pour ceux qui arrivent des terres, se trouve porte de Tlemcen (place des Quinconces) et il s’agit alors de défendre la seule source d’eau douce qui approvisionne tout le monde et qui coule dans le ravin de Raz-el-Aïn.
On reprend la Torre gorda qui se trouvait là et qu’avait fait construire le Maître de Montesa, Don Pedro Luis de Garceran de Borja, marquis de Navarrez, alors qu’il venait d’être nommé, le 29 juin 1567, capitaine général à Oran.
Donc petite mise au clair :
- 1570 : Construction de la Torre gorda par le maître de Montesa (1ère présence espagnole)
- 1738 : Construction du Tambour San José à partir de la Torre Gorda. (2nde présence espagnole)
Conseil de Guy Montaner sur le site Oran des années 50 : « Attention toutefois à ne pas confondre cet ensemble de souterrains avec les abris anti-bombardement des années 40 ; chaque quartier en avait, à la Marine, c’était dans la rue Christophe Colomb, en face de chez Bastos. »
En janvier 1950, Firmin Ellul pouvait ainsi écrire, dans une série de reportages publiés par l’Echo d’Oran :
« Aucune cité au monde ne dispose actuellement, dans son sous-sol, d’un réseau semblable de galeries, enchevêtré à l’extrême et d’une capacité telle que plus de la moitié des habitants d’Oran (soit 125 000) pourrait s’y tenir, sans compter toutes les galeries inconnues qui n’ont jamais été retrouvées. »
Et en 2013, Kouider Metaïr (Bel Horizon) pouvait aussi publier son dernier livre en présentant Oran comme la ville la plus fortifiée de la Méditerranée.
Il y a quasiment 4 ans, jour pour jour, un réseau de tunnels de l’époque espagnole était ouvert aux touristes, apprenait-on de l’office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés.
Je ne sais pas très bien où en sont les choses aujourd’hui (merci de me renseigner sur ce point), mais il semble peu à peu que les souterrains refassent surface, au moins dans la mémoire de la ville.
Et c’est aussi bien si l’on se rappelle les paroles que prononça un certain général Weigand, lors d’une courte visite dans des galeries de la ville :
« Si certaines grandes villes de la Métropole avaient eu ça, beaucoup de tristes événements ne se seraient pas passés pendant l’exode de 1940 ! »
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).
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NB : Je dois beaucoup au livre « Récits autour d’Oran » de Edgard Attias pour cet article. Qu’il en soit remercié. Voir la page de ses livres.
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