Église Saint-Louis – La Marine (Crédit photo : K. Hamid – Page Facebook)

C’est en lisant un article de Ségolène Samouiller que je me suis décidé.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je tombe dessus. Dès que je cherche quelque chose sur l’église Saint-Louis, j’atterris sur cet article, qui évoque les multiples métamorphoses des lieux de culte à travers l’histoire d’Oran.

Et qui le fait de manière tellement simple, sobre, et subtile, que j’en ressors toujours en me disant que je dois en parler… sauf que je n’en parle pas.

Jusqu’à ce que je considère les choses autrement et que je finisse par relever ce qui m’a toujours bloqué : la chronologie chaotique de l’église Saint-Louis.

C’est un peu comme le Rosalcazar. Attendre un an avant d’écrire sur cette forteresse n’est pas normal, sauf à se rappeler qu’il y a un an je ne connaissais pas la ville, et qu’il m’était donc difficile de l’aborder sous l’angle de la traversée historique.

Et le blocage valait aussi bien pour l’église Saint-Louis.

Apparemment, c’est terminé ; voici donc quelques marqueurs pour tenter de se repérer dans les strates temporelles de la vieille église Saint-Louis qui n’a pas toujours été une église…

1 – La mosquée Ibn al-Baytar (1347)

Ibn al-Baytar est un savant musulman d’origine andalouse resté dans l’histoire comme l’auteur d’un livre très connu dans le monde des botanistes et pharmaciens : « Le traité des simples ». Écrit en 1245 à Damas.

Ibn al-Baytar à Malaga (Kekee999 sur Wikimedia)

Il passe son temps à voyager dans tous les coins de la Méditerranée pour débusquer le maximum de plantes en commençant très jeune (22 ans) par l’Afrique du Nord où il n’a pas l’air de revenir par la suite.

« A son arrivée en Egypte, il fut reçu dans la cour du sultan Al-Kamil Al-Ayyub. Une amitié s’établit entre eux, ce qui poussa le sultan à le nommer chef des phytothérapeutes dans l’administration égyptienne. » (source : l’Égypte éternelle)

Il naît en 1197 à Malaga et passe logiquement à Oran 22 ou 23 ans plus tard, vers 1220. En 1347, on construit donc une grande mosquée à son nom, à l’emplacement de la future église Saint-Louis.

Il semble qu’elle soit déjà en ruine lorsque les espagnols arrivent, en 1509.

2 – L’église espagnole à l’arrivée du Cardinal Jiménez (après 1509)

En 1509, les espagnols qui ont reconquis leur territoire veulent prévenir une nouvelle invasion arabe et décident de débarquer en Afrique du Nord.

Juan de Borgona, Fresque du débarquement des troupes espagnoles à Mers-el-Kébir (détail), 1514, Tolède, chapelle Mozarabe de la cathédrale.

« Après l’occupation du port de Mers-el-Kébir en 1505, l’armée du cardinal Francisco Jiménez de Cisneros, commandée par Pedro Navarro, prit la ville d’Oran en 1509. La ville fut désertée, puis totalement occupée par les troupes espagnoles. » (l’auberge espagnole)

Le premier gouverneur espagnol, Diego Fernández de Córdoba y Arellano, devenu marquis de Comares en 1512, fera détruire la mosquée sous les ordres du cardinal Francisco Jiménez de Cisneros pour construire une église dédiée à Notre-Dame de la Victoire, culte du couvent des moines de Saint-Bernard.

On n’est pas encore avec l’église Saint-Louis. Et si je suis René Lespes qui est une référence en ce qui concerne l’histoire d’Oran (aller au chapitre 37 intitulé « l’année 1840 ») c’est quand même assez compliqué. Je cite :

« Construite en 1679 [l’église Saint-Louis] sur l’emplacement d’une synagogue dont les matériaux provenaient déjà d’une chapelle du couvent des moines de Saint-Bernard, sous le vocable de Ste Patience du Christ, elle fut violée et saccagée par les arabes en 1708« 

Je résume : en 1509, le cardinal Jiménez fait détruire la mosquée Ibn al-Baytar déjà en ruine, et ordonne à la place la construction de Notre-Dame de la Victoire, culte du couvent des moines de St-Bernard. Puis celle-ci devient une synagogue (je ne sais pas trop comment), avant de redevenir catholique sous la dénomination de Ste Patience du Christ, en 1679.

Ce n’est pas simple mais on peut trouver une confirmation de la chronologie de Lespes dans un texte de Mireille Attias qui a beaucoup travaillé sur l’histoire des juifs à Oran.

3 – La synagogue sous les Ottomans (1708-1732)

Retour à l’article de Ségolène Samouiller pour l’étape suivante :

« Deux siècles plus tard, les Ottomans chassent les Espagnols, s’installent dans la ville, et construisent leur mosquée juste en face de l’église… qu’ils offrent aux juifs.« 

Mausolée du Bey Bouchlaghem à Mostaganem sur voyage-bons-plans.aufeminin.com

Ainsi donc, en 1708, lorsque le Bey turc Mustapha Ben Youssef (aussi appelé Bey Mouchlaghem) chasse les espagnols d’Oran, l’église redevient une synagogue.

Mais je ne sais pas dans quelle mesure « le Bey Bouchlaghem l’affecte aux Israélites » (comme le dit aussi Ségolène Samouiller) puisqu’on peut lire par ailleurs qu’elle a d’abord été détruite par les Ottomans avant de devenir une synagogue. A voir.

Quant à la mosquée construite « en face de l’église », peut-être est-elle l’ancêtre de celle édifiée en 1799 place de la Perle sur « ordre du Bey Othmane ben Mohammed, dit Le Borgne » (Wikipedia).

4 – L’église catholique au retour des Espagnols en 1732

Je n’ai pas l’impression qu’il se passe grand chose entre 1732 et 1790, si ce n’est que les juifs font les frais de l’histoire, puisqu’ils doivent « rendre » leur synagogue. Ségolène Samouiller :

« Les Espagnols reviennent en 1732 et récupèrent « leur » église, qui reste fonctionnelle jusqu’au tremblement de terre de 1790« 

5 – L’église abandonnée suite au tremblement de terre de 1790

Pas grand chose à dire non plus sur cette période, mais le tremblement de terre de 1790 a fait des ravages dans la vieille ville, à un point tel que les Espagnols la braderont aux Ottomans en 1792, et que ceux-ci s’installeront dans Rosalcazar puisque la Casbah -résidence habituelle des gouverneurs espagnols- est désormais trop endommagée pour les accueillir.

Il semble que l’église St-Louis (qui ne doit pas encore porter ce nom) soit plus ou moins en ruine.

6 – L’église reconstruite par les Français en 1838

« Le 4 janvier 1831, Le général comte Charles-Marie Denys de Damrémont, chef de l’expédition, entre dans Oran qui porte encore les stigmates du tremblement de terre de 1790 qui l’a en grande partie détruite […] Un premier recensement de 1831 indique que la ville compte 3 800 habitants dont 3 531 juifs formant une écrasante majorité. » (Wikipedia)

Ce n’est pas pour autant qu’elle redevient une synagogue.

En 1839, sous les ordres de Dupont, architecte en chef de la province d’Oran, elle est rebâtie autour de l’abside miraculeusement restée debout. Et plus tard, la décoration murale sera réalisée par Viala du Sorbier, Chef du service des bâtiments civils du département d’Oran de 1850 à 1872.

Une photo rare : la mosquée de la Perle vue depuis la crypte de l’église Saint-Louis, en présence du père Gauthier (3), prêtre de l’église Saint-Louis, et de Mgr Lacaste (4), évêque d’Oran.

« Devant l’entrée de l’église se trouve quatre statues représentant Saint Louis roi de France, Saint Irénée, Saint Augustin et Saint Vincent. A l’intérieur, elle est divisée en trois nefs par des arcades en plein cintre. Le chœur est décoré par une peinture de Saint-Pierre représentant le débarquement de Saint-Louis à Tunis. 

Cet édifice est doublé dans sa longueur par une chapelle en sous-sol. Un double escalier orné de statues conduit à l’entrée principale au-dessus de laquelle sont sculptées les armoiries de la ville d’Oran et du premier évêque du lieu.« 

Il y avait aussi un buffet d’orgue placé « au-dessus de la porte d’entrée ; il a été construit à Valence ; ses tuyaux sont horizontaux et verticaux ; ces derniers qui ressemblent à autant de tromblons, prêts à faire feu sur les fidèles, leur envoient à ce qu’on dit, à défaut de mitrailles, des notes discordantes… » (Jacques Gandini – Églises d’Oranie)

Aspect de l’Église Saint-Louis en 1850 (source Guy Montaner – Oran des années 50)

Guy Montaner fait un commentaire intéressant sur le premier aspect de cette église qui n’est pas celui connu plus tard sur les photos et cartes postales diverses :

« C’est bien volontairement que j’ai marqué dans l’objet : Ancienne église Saint-Louis. C’est effectivement la première bâtisse que nos soldats de Génie ont élevée,  en commençant par le clocher, en même temps que le premier hôpital militaire de la place de la Perle !

Pas un d’entre nous ne l’a connue comme çà, elle n’était pas bien grande, et je comprends que toutes les cérémonies religieuses devaient être grandioses, la foule entourant certainement la bâtisse. » (Guy Montaner sur Oran des années 50)

Le Chapitre de la cathédrale sera « finalement installé le 29 mars 1869, dimanche de la Passion, par l’évêque Irénée Callot » (Alfred Salinas – Oran la Joyeuse) et restera cathédrale jusqu’au début du XXème siècle avant d’être remplacée dans ce rôle par l’édifice qui se trouve Boulevard du 2ème Zouaves, sur le plateau de Kargentah, tout en squelette de béton armé et actuellement bibliothèque municipale.

« Monseigneur Cantel, évêque d’Oran de 1899 à 1910, trouve à son arrivée une ville abritant près de 80 000 Européens, et la cathédrale Saint-Louis, située à l’extrémité occidentale de la ville ancienne, ne peut plus répondre aux besoins d’une population s’installant dans les vastes quartiers de la ville nouvelle qui s’édifient à l’est de la vieille ville. Il entreprend de faire bâtir une nouvelle cathédrale. » (Wikipedia)

De 1913 à 1962, elle redevient donc église paroissiale, au cœur du quartier historique de la Marine.

7 – L’église-abri de 5 familles jusqu’en 2004

En 1962, elle est de nouveau abandonnée à son sort, et retrouve peu à peu l’aspect qu’elle avait entre 1790 et 1839, à la suite du tremblement de terre qui signa le départ des espagnols.

Elle perd son apparence, aussi bien extérieure (les quatre statues, la rosace et les croix ont disparu) qu’intérieure (voir la photo ci-dessous) et fait longtemps office d’abri pour les plus démunis de la ville, avant d’être enfin –peut-être– prise en charge par les autorités de la ville, pour un « lifting »… (voir l’article du 21 juillet 2012 signé Bouziane Mehdi dans le midi libre, quotidien algérien)

Intérieur actuel (2011) de l’église Saint-Louis (Crédit photo Karimacoffax)

« Actuellement, la cave de cet édifice religieux abrite le centre culturel Sidi El-Houari, relevant de l’APC d’Oran.

Cette église a été squattée par cinq familles, relogées en 2004 dans des appartements décents.« 

Je regrette d’être incapable de remettre la main sur un reportage qui suivait quelques pieds-noirs en pèlerinage à Oran, et par un détour à l’intérieur de l’église, interviewait une femme présente pour en révéler les conditions de vie absolument désastreuses.

Il y avait là sous les yeux de tout le monde, une église séculaire, passée aussi bien par le stade de mosquée que par celui de synagogue, totalement démunie de l’extérieur comme de l’intérieur, et accueillant elle-même les plus démunis de la ville, attendant juste qu’on prenne soin d’elle pour éviter l’effondrement de son toit, dans un quartier de la Marine pour une bonne part déjà  suffisamment effondré.

Souhaitons que le projet de réhabilitation qui semble se dessiner ne soit pas vain.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

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NB1 : Le reportage retrouvé au dernier moment…

à 16’26 », entrée dans l’église St-Louis

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NB2 : Et des informations tirées du livre de Edgard Attias « Récits autour d’Oran » dans lequel j’avais oublié de jeter un œil. Dommage, ça m’aurait bien simplifié le travail…

« L’Origine de la cathédrale Saint-Louis est assez curieuse et représentative des mouvements de populations d’Oran. C’est sur l’emplacement d’une synagogue, et avec les ruines de cet édifice, que fut édifiée l’église de la Sainte Patience du Christ en 1679.

Sous le règne de Charles II, sa mère, la Reine Dona Maria d’Autriche, Régente, chassa le 16 avril 1679, les Juifs qui s’étaient maintenus dans le voisinage.

L’histoire en est assez obscure car on raconte que cette synagogue fut, au préalable élevée avec des matériaux provenant du couvent des moines de Saint-Bernard. Cette église semble vouée à une existence mouvementée.

En 1708, quand les Espagnols sont contraints d’abandonner Oran, sous les attaques incessantes de Bou Chelaghem, les soldats du vainqueur profanèrent et souillèrent les images des saintes, les objets voués au culte furent volés ou brisés, et les cloches jetées bas et fondues. 

Le temple redevint synagogue de 1708 à 1732, année où le comte de Montemar reprenait Oran, et le nouveau gouverneur rendait au culte catholique l’église de la Sainte Patience du Christ. Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790, un violent tremblement de terre, détruisit en partie la cité et la vieille église paya un lourd tribut.

Pendant 18 mois, le colonel comte de Cumbre Hermosa eut à faire face à mille difficultés de l’intérieur, pendant que les Turcs ne cessaient d’attaquer la ville.

Sans aide, et à bout de ressources, en mars 1792, la garnison dut évacuer et rendre Oran aux Turcs. Mohamed le Grand laissa à l’abandon les décombres de la vieille église et les matériaux servirent à qui voulut s’en emparer. A l’arrivée des Français en 1831, seule une partie de l’abside chancelante était restée debout.

Une chapelle de fortune fut rendue au culte. Il semble que ce puisse être la Sainte Marie des Espagnols. En 1839, la cathédrale Saint-Louis, édifiée sur les ruines de la Sainte Patience du Christ fut placée sous l’invocation de Saint-Louis de France.

Sur le parvis quatre statues : Saint Augustin, patron chrétien de l’Algérie, Saint Louis et la couronne d’épines ramenée de la Terre Sainte, Saint Vincent de Paul, aumônier des galères sous Henri IV et Louis XIII, qui rachetait les esclaves aux Turcs, et Saint Irénée, évêque de Lyon, ville jumelée avec Oran. 

Sous la clef de voûte placée à l’entrée du chœur, les armes de Ximénès figurent encore, surmontées du chapeau de cardinal, et portant huit points d’argent équipollés à six d’azur ; ce blason est celui de Tolède.

Nul n’a pu dire si cette pierre provenait de la Sainte Patience ou du couvent de Saint-Bernard bâti sur les ordres du cardinal en 1509. Malgré les désastres causés par le tremblement de terre de 1790, quantité de maisons de l’époque subsistent encore et permettent de situer la vieille ville.

Fort heureusement les Espagnols avaient coutume de confier leurs exploits à la pierre gravée ; par elle, il a été possible de reconstituer certains faits.

La cathédrale devenue église, fut classée monument historique sous la municipalité Fouques-Duparc.« 

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Céramiques Bartholomé Jorba (source : Edgard Attias sur son site)

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