Ma mère n’aimait pas la nature mais mon père est presque né dedans.
La littérature est un accès au monde, une voie très importante. L’autre voie consiste à se frotter à la réalité.
Quoi qu’il en soit, les deux sont nécessaires à l’intelligence.
Sans livres, on ne comprend pas grand chose à ce qui arrive. Les livres ouvrent la perception. Sans réalité, on vit dans un petit monde imaginaire. La réalité recadre les natures sujettes au fantasme.
Il y a des tas de gens qui ne lisent jamais ; et il y a des tas de gens qui se suffisent d’un monde imaginaire. Les espèces hermaphrodites ne sont pas si courantes. Je le dis d’autant plus facilement que je me sens plutôt bancal, davantage pris dans l’imaginaire que dans la réalité, même si je me soigne.
Tous ceux qui ont connu la chasse ont eu accès à une réalité privilégiée.
On peut être contre, c’est comme la corrida, ça ne change rien au côté initiatique de l’activité. L’Homme y apprend toujours beaucoup sur lui-même. Le père de mon père adorait chasser dans la Sebkha d’Oran, au moins jusqu’à son interdiction (en 1955, je crois). Après Louis-Ferdinand Céline, Albert Camus ou Marie Cardinal, il est important de faire un détour par la réalité des sens. Rien de tel qu’une promenade à travers les champs.
Voici ce qu’écrit mon père qui accompagnait toujours son père dans la sebkha d’Oran, les dimanches de chasse, tôt le matin.
Je le tire du récit qu’il a écrit seul, en 2006.
« Les dimanches où j’allais à la chasse avec lui, mon père venait me réveiller à 5h du matin. Je croyais qu’il fallait aller à l’école, mais en émergeant davantage de mon sommeil, je me rappelais qu’on était dimanche et en un instant, j’étais transformé, heureux de partir vivre cette aventure si tôt.
Les préparatifs étaient rapides, l’essentiel avait été fait la veille. Une moto Peugeot toute neuve nous transportait sur le lieu de chasse dans les environs de notre village de Valmy (El Kerma, depuis l’Indépendance). J’étais assis sur le siège arrière, collé au dos de mon père car le froid matinal accentué par le déplacement me pénétrait déjà. Nous n’avions pas l’habitude de lutter contre le froid. Heureusement, le trajet n’était pas long, à peu près 20 kms.
Nous arrivions chez la grand-mère paternelle qui nous attendait pour nous réconforter avec du biscuit maison, un café chaud et un sandwich au saucisson dont je raffolais. Il faisait encore nuit, mais le jour commençait à pointer. L’équipier de chasse arrivait à son tour et nous partions dans la campagne environnante.
C’était un espace infini, sauvage, dénudé, assez caillouteux. Quelques arbres isolés, pins et eucalyptus, s’élevaient par-ci par-là. La topographie n’était pas plane, mais plutôt bombée avec une suite de vallons et de bosses. Je me contentais de suivre les chasseurs dans le matin naissant, c’était très agréable. Une impression de solitude et de grand calme se dégageait.
Quand un groupe de perdreaux était repéré au sol, une stratégie était mise en place ; l’un des deux chasseurs contournait le groupe de volatiles et tentait de rabattre le gibier qui s’envolait dans la bonne direction pour que le second chasseur camouflé puisse les tirer. A la fin de la matinée, j’étais exténué et je restais à l’ombre d’un arbre, attendant le regroupement des chasseurs à l’endroit convenu. Cette stratégie avait lieu plusieurs fois dans la matinée, et chacun revenait avec 4 ou 5 perdrix et un lièvre.
Sous cet arbre, j’écoutais le silence, et la solitude m’angoissait légèrement ; je ne savais pas très bien où je me trouvais. Le soleil était déjà assez haut et commençait à chauffer bien que nous soyions en hiver ; quel contraste avec le matin où je grelottais sur la moto !
Sur le chemin du retour, la fatigue se faisait sentir, et après nous être bien désaltérés, nous rentrions.
Ces dimanches étaient pour moi de grands moments de bonheur et de fatigue, mais je me sentais heureux et plein d’une sensation indéfinissable »
Ce sont des émotions que ma mère n’a jamais ressenties.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)