Tunnel entre Oran et Mers-el-Kebir – Photo JC Lietot

C’est devenu un rituel, semble-t-il.

En attaquant le tunnel de la pêcherie, il faut klaxonner.

Même chose au départ de Mers-el-Kébir en direction d’Oran.

Il y a plein de raisons de klaxonner.

Lorsque j’ai passé mon permis, il y a déjà quelques années, on m’a bien dit : il est interdit de klaxonner en ville. Le klaxon ne peut servir qu’à prévenir un autre véhicule, en cas de danger, quand on n’y voit rien.

On ne peut pas klaxonner comme ça, par simple mécontentement, c’est une nuisance. En général, on s’en sert en montagne, quand le risque de finir au fond d’un ravin à tous les tournants est trop élevé, et qu’il faut se prémunir des fous qui roulent n’importe comment sur des routes étroites.

Et puis j’ai rapidement vu qu’on pouvait klaxonner pour dire bonjour à un ami, fêter les mariages, ou faire peur aux chats qui dorment dans les arbres.

Autrement dit, le klaxon, bien employé, est une manifestation de joie.

Apparemment, le klaxon du tunnel de la pêcherie est davantage qu’une simple manifestation de joie puisqu’il est là depuis longtemps, trace d’un souvenir sur lequel tout le monde n’est pas d’accord. J’ai lu une théorie, il y a quelques semaines, sur Facebook. Une théorie parmi d’autres, semble-t-il, mais qui a l’air de plaire.

« Il y a longtemps, un chauffeur d’autobus, un Espagnol qui avait pour habitude d’assurer la desserte Oran-Aïn El Turck, annonçait son arrêt en klaxonnant pour que les pêcheurs du contrebas puissent l’entendre. En effet, avant que les palissades soient construites, les pêcheurs pouvaient descendre à pied jusqu’au contrebas, au bord de la mer, et du coup, ne voyaient pas le car qui passait. Donc, le chauffeur klaxonnait pour que les pêcheurs du contrebas puissent remonter jusqu’à la route et prendre place dans le bus. »

Je ne m’étendrai pas sur les différentes théories, ce qui m’étonne surtout, c’est à quel point ce lieu est source de légendes.

Je ne suis pas sûr qu’un autre lieu oranais soit plus chargé de légende que ce passage entre Oran et Mers-el-Kébir. On a l’impression que tous les mystères de la ville se sont donnés rendez-vous sur la Montagne de Santa Cruz.

En surface, sur l’Aïdour, on place une Vierge pour se débarrasser du Cholera de 1849, et pour s’assurer que tout se passera bien le plus longtemps possible, on l’accompagne d’un marabout, celui de Sidi Abdelkader, de l’autre côté de la Brèche, sur le plateau qui porte son nom. A moins que ce ne soit l’inverse et que le marabout soit là depuis des lustres.

En profondeur, c’est le Génie de l’Aïdour qui croise les Bains de la Reine dans les cavernes préhistoriques. C’est aussi là que se construit la dernière légende urbaine du XX° siècle, le nucléaire.

C’est peut-être bien en regardant les photos de la construction du tunnel de Mers-el-Kébir racontée par Firmin Ellul (champion d’escrime oranais reconverti en journaliste occasionnel) dans l’Echo d’Oran en avril 1954 que j’ai compris à quel point le nucléaire pouvait être source de légendes.

Il faut voir les extraordinaires photos de la construction du tunnel.

Et surveiller le style narratif de Firmin Ellul.

« Deux bifurcations, et alors voici, devant mes yeux largement écarquillés, un spectacle dont je garderai à jamais l’extraordinaire grandeur. Une image qui pourrait illustrer de splendide façon le « Voyage au centre de la Terre » d’un Jules Verne du XX° siècle. Figurez-vous une nef immense comme quatre fois notre cathédrale mais dont la voûte seule présente une surface lisse. »

Il n’est pas nécessaire de rajouter d’autres extraits pour comprendre qu’on est en plein fantasme : construction de cathédrale et mythe du Centre de la Terre. Vierge Marie pour la surface et temples pour les profondeurs. Je ne mettrai que la fin.

« Après un nouveau trajet en « Jeep » dans le dédale des voies d’accès, nous voici à l’air libre, débouchant comme par hasard d’un tunnel voisin de celui qui nous a absorbés. Nous venons de visiter une faible partie de la ville souterraine en voie d’achèvement, cette zone industrielle cachée sous les contreforts du Murdjadjo. »

Dédale, enfin l’air libre, hasard, ville souterraine, cachée… sous les contreforts du Murdjadjo.

On est bien dans les mystères.

Et si l’on peut penser que les klaxons saluent la mémoire des pêcheurs du contrebas (si l’on veut à tout prix s’ancrer dans la réalité historique) on peut aussi imaginer qu’ils saluent la mémoire des mystères ensevelis depuis toujours sous la montagne des villes jumelles d’Oran et de Mers-el-Kébir.

Firmin Ellul maniait l’épée d’une main de maître. Manier la plume ne lui déplaisait pas non plus.

Les cinq articles sur le tunnel de Mers-el-Kébir sont disponibles en pdf. Titre du cinquième et dernier épisode : « Cavernes-cigares et cavernes-couronnes étancheront la soif des escadres.« 

Le plaisir de traverser les tunnels en souvenir des grottes.

Et klaxonner.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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