Dans le Petit Futé sur l’Algérie, je crois qu’il n’y a qu’une page qui est venue chambouler les informations que je pouvais avoir grappillées ici ou là : la Corniche.
La Corniche, pour moi, c’était ça :
« La route pour rentrer à Oran s’appelait « la Corniche ». On disait : « on rentre par la Corniche ? ». Est-ce qu’il y avait une autre route possible ? Je ne m’en souviens pas. Mais la majorité des gens rentraient par la Corniche. Qui pourra jamais dire la magnificence de cette route surplombant la mer, avec le soleil couchant incendiant le tout en orange et rouge ? C’est indescriptible.
J’ai vécu mon enfance au cœur même de la beauté.
Tout le monde rentrait en même temps, cela donnait de longs embouteillages sur la Corniche.
Les voitures se suivaient à la queue leu leu, à 30 à l’heure. Les fenêtres étaient ouvertes, et les radios hurlaient. J’aurais préféré le silence, mais les pieds-noirs n’ont jamais été un peuple discret. Souvent, l’une des voitures tombait en panne, de moteur ou d’essence. Alors, quelqu’un d’une autre voiture prenait les naufragés et les ramenait jusqu’à Oran, et jusque chez eux. Souvent, nous avons pris des gens nous aussi.
J’aimais bien, mais j’aurais aimé en savoir plus sur eux, ils restaient silencieux, tassés au fond de la banquette, intimidés, surtout les enfants. Souvent, c’étaient des gens qui parlaient espagnol, mon père étaient ravi. A ce moment-là, il se mettait à leur répondre en espagnol lui aussi, c’était magique.«
J’ai déjà évoqué ce texte de ma mère dans un autre contexte, celui de mes origines espagnoles.
Et puis le Petit Futé est venu mettre son grain de sel… p263 :
« Sortir : Rendez-vous sur la Corniche, à quelques kilomètres du centre d’Oran, où se suivent près d’une cinquantaine de boites et de cabarets dont le Murdjadjo, le Manara ou le Sol Azur. […] Pour une plongée dans la nuit oranaise, rendez-vous à la station de taxis près du Consulat de France pour vous mêler aux fêtards qui attendent une voiture en partance pour la Corniche. »
D’un coup, je me suis senti complètement à côté de la plaque.
A moins qu’il y ait déjà eu des dizaines de cabarets le long de la Corniche dans les années 50, et qu’aujourd’hui, les gens continuent à rentrer des plages dans un joyeux concert de klaxons et de moteurs fumants, le dimanche en fin de journée.
Peut-être après tout. Les deux ne sont pas incompatibles.
Ma mère parle de la « Guinguette », sur les hauteurs d’Oran, un peu plus loin dans son texte :
« Les fois où on n’allait pas au cinéma (cela arrivait, je ne sais pas pourquoi), mon père décidait que nous irions en fin d’après-midi à « la Guinguette », un bistrot sur les hauteurs d’Oran qui avait la spécialité des moules-frites, ce qui me paraissait complètement saugrenu à l’époque, mais goûteux quand même.
C’était très populaire, voire populeux, mais quelle ambiance extraordinaire : bruits de voix, d’assiettes entrechoquées, voix d’hommes qui parlaient fort, petite salle enfumée et là-dessus, je devrais dire là-dedans, les moules et les frites.
Un paradis baroque, un petit monde à part, loin d’Oran tout en étant à côté, mais sur une sorte de colline. Pour moi, petite, ça me paraissait une montagne. Quel endroit magique, féerique, enchanté, libre et libérateur de la componction d’Oran. Un petit havre de naturel et de spontanéité dans une atmosphère générale très coincée.
Il y avait peu de familles comme nous, surtout des hommes seuls avec des petits garçons quelquefois. Je ne sais pas pourquoi. A ma connaissance, c’était un établissement tout ce qu’il y a de convenable, mais peut-être que je ne savais pas tout.
C’était un établissement où les gens ne se regardaient pas les uns les autres.
Il est vrai qu’il n’y avait pas de femmes.«
J’avais demandé à quelques pieds-noirs qui traînaient sur Facebook si « la Guinguette » leur disait quelque chose ? Négatif.
Ma mère écrit « sur les hauteurs d’Oran. » C’est-à-dire ?
Si quelqu’un a une petite idée, je suis preneur. J’aimerais bien savoir dans quel endroit malfamé sur les hauteurs d’Oran mon grand-père prenait-il soin d’initier sa petite fille au plaisir adulte des salles enfumées.
C’était courant d’emmener les petites filles sur les hauteurs malfamées d’Oran ?
Mais peut-être n’était-ce pas malfamé, après tout.
Et les 50 cabarets de la Corniche, c’est comment ?
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)