Le vendredi 29 juin, je rencontrai Toufik, guide d’Oran à l’association Bel Horizon qui lutte pour la sauvegarde du patrimoine de la vieille ville depuis le début des années 2000.
Il venait quelques jours à Paris pour une réunion de famille et n’a pas hésité à sacrifier une journée entière pour me parler de sa ville. Il faut vraiment l’aimer pour me la faire partager aussi longuement parce que je ne suis pas grand-chose, que ma parole en ce bas-monde n’est rien non plus, et qu’il n’y a que peu de bénéfice à attendre en retour, tout le monde le sait.
L’autre jour au téléphone, Lionel a prononcé une phrase dont je ne sais pas quoi penser : on dirait que pour toi, tout ce qui vient des algériens est bien et tout ce qui vient des Pieds-Noirs est mal.
Je me suis défendu en lui disant que j’avais autant besoin des uns que des autres mais que, pour l’instant, le contact est plus simple avec les algériens qu’avec les Pieds-Noirs.
Le fait est qu’à Paris, tout a été très simple avec Toufik qui est quelqu’un d’extrêmement abordable.
Nous sommes allés nous asseoir dans un café proche de la gare Montparnasse et nous avons commencé à discuter d’Oran. Je voulais entendre des choses vraies, des choses dont je ne peux être sûr qu’après avoir regardé la personne dans les yeux.
J’avais par exemple –et depuis mon premier article– une difficulté dans la dénomination des noms de rues. J’avais pris le parti d’appeler toutes les rues quelles qu’elles soient par leur nom algérien suivi de leur nom « ex. français », comme le « Boulevard de la Soummam, ex. Gallieni. »
Il m’a fait comprendre que tout le monde appelait encore la rue d’Arzew comme on l’appelait avant 1962 et que je ne risquais donc pas d’être mal vu si par hasard je l’appelais la « rue d’Arzew », mais que c’était aussi bien de donner les noms algériens suivi des noms français.
Donc je vais continuer comme je l’ai toujours fait (le nom algérien, puis le nom ex. français) tout en sachant que si de temps en temps j’oublie le nom algérien de la rue d’Arzew, personne ne m’en tiendra vraiment rigueur puisque tout le monde là-bas continue de l’appeler la rue d’Arzew.
Ce sont des petits détails, mais il me fallait les yeux de Toufik pour être totalement au clair avec ce genre de choses. Facebook ne m’aurait pas suffit. Il y a toujours le risque du malentendu.
Les yeux ne trompent pas.
Toufik m’a beaucoup parlé d’Oran et de ses différents quartiers. J’ai compris à quel point sa parole était importante pour moi, plus forte que n’importe quel livre sur Oran, plus forte même que la parole livresque de Kouider Metaïr, parce que j’avais là, sous les yeux, l’intonation, l’œil et l’humour de quelqu’un qui pouvait, à chacune de mes questions, me remettre dans la voie d’une compréhension plus juste de la ville actuelle.
Puis nous avons marché, pas mal pris le métro, mangé des crêpes citronnées au miel et filé vers la mairie de Paris.
Toufik tenait à me montrer les lions fièrement installés derrière l’hôtel de ville, les mêmes lions que ceux de la mairie d’Oran, réalisés par le même sculpteur, Auguste Cain, au XIX°S.
Les mêmes lions, à deux différences près toutefois :
1 – Les lions de la mairie de Paris ne regardent pas en face comme ceux d’Oran mais à droite et à gauche.
2 – Ils ont la queue qui revient sur les pattes arrière contrairement aux lions d’Oran.
Ce sont des petits détails qui scellent une rencontre.
Merci pour cette journée, Toufik.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)