Durant les jours qui viennent, je ferai retour sur le colloque de Masseube qui a eu lieu le dernier week-end de juin.
On pouvait y rencontrer des historiens de haute volée, mais encore une fois, l’Histoire n’est pas mon objectif ici, bien que les évènements de cette période m’intéressent au plus haut point.
Je traque les petites choses de l’après 62.
Ecrasés par les grands drames de l’avant 62 qui imposent le silence, les petites gens n’osent plus évoquer ouvertement ce qui s’est passé dans les familles après 62. Pire, ils ne se rendent même pas compte qu’il s’est passé quelque chose parce qu’au regard des grands drames de la guerre, leurs petits drames de la paix ne vaut plus rien.
Comment raconter quoi que ce soit lorsque les historiens focalisent tout sur les horreurs du 26 mars ou du 5 juillet ?
Comment les petites gens pourraient-elles croire un seul instant que leur terrible quotidien de paix puisse rivaliser avec les morts en cascade de l’année 62 ?
Face à ce genre d’horreur, aucun individu digne de ce nom ne peut lever la main pour dire tout simplement : moi aussi, j’ai vécu des choses difficiles.
Donc il se tait.
A Masseube, j’ai rencontré une vieille dame très digne et très souriante, qui venait là parce que le silence lui était imposé par ailleurs. Elle désirait juste rencontrer des gens et discuter avec eux de ce que sa fille lui interdit d’évoquer dans le contexte familial.
Dans le contexte familial, la société a souvent pris l’ascendant : les enfants regardent l’histoire de leurs parents par le petit bout de la lorgnette et privent ainsi de parole les vieilles dames pour les refouler dans les colloques où les historiens évoquent des histoires atroces qui clouent le bec à tout le monde.
Et surtout aux petites gens.
Et c’est finalement vers moi que la vieille dame a trouvé un certain réconfort le soir devant sa paella. Ce n’était pas triste parce que cette vieille dame était merveilleuse de délicatesse et d’humour. J’étais même fier d’être le réceptacle de tant d’élégance.
Il n’empêche.
Elle était venue là pour parler. Le colloque devait aussi prendre en compte sa parole à travers la mise en place de petits ateliers thématiques. Sur ce plan-là, je ne sais pas ce qu’en ont pensé les organisateurs, mais le week-end ressemble plutôt à un échec.
Les historiens ont tenu le haut du pavé.
La vieille dame est donc rentrée chez elle confortée dans l’idée qu’il s’était passé, avant 62, de telles horreurs, qu’il ne lui était plus possible de lever la main pour prendre la parole et dire tout haut, à tout le monde, ce que beaucoup vivent chez eux depuis déjà fort longtemps :
Ma fille ne veut pas que je parle de cette histoire.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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