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« Tu es allé dans le Village Nègre ? »
C’est mon père qui me regarde de manière étrange à mon retour et me pose la question d’une voix plus basse que d’habitude. Je crois qu’il n’en a pas conscience.
Il est un peu comme ma mère sur ce plan-là.
Ville Nouvelle (que beaucoup de personnes appelaient encore de son ancien nom « Village Nègre » dans les années 50 – je ne philosopherai pas sur l’origine du nom, toutes les théories circulent et sont sujettes à polémique) est le quartier interdit par excellence, celui qui se retrouvera bouclé un beau matin de 61, et devant lequel aucun Européen n’osera plus se promener sans frémir. Le lycée de mon père (Ardaillon) se trouve de l’autre côté du boulevard Paul Doumer et le drame de la place Roux n’est pas bien loin. Ça sent la guerre à plein nez. Je sais que je suis dans un endroit spécial.
Donc je lui dis que oui, je me suis promené dans ce quartier étrange, fait de toutes petites rues très animées où se vendent une quantité innombrable d’objets posés sur le sol, et d’une gigantesque esplanade (Tahtaha) orientée Est-Ouest et dont la vue sur Santa Cruz est imprenable. Depuis la Basilique, on remarque d’ailleurs très bien ce large espace éclairé d’une lumière blanche qui contraste avec le reste des illuminations nocturnes plutôt dorées. Un monument se dresse au centre qui rappelle l’attentat du 28 février 1962.
Moi-même, je me dis plusieurs fois que je suis en train de marcher à l’intérieur d’un espace que mes parents n’ont jamais foulé. La sensation est étrange.
Je précise tout de suite que le cas de mes parents n’est pas généralisable, je connais des tas de pieds-noirs qui ont foulé les rues de ce quartier du temps où il était encore accessible, et mon grand-père maternel, né dans la ville en 1916, y est sûrement allé plus d’une fois. Emmanuel Roblès raconte comment les élèves d’Ardaillon, dans les années 30, allaient faire un saut dans ce quartier lorsqu’ils avaient envie de sécher les maths. Mais enfin, mes parents ne doivent pas non plus être les seuls au monde à n’avoir jamais mis les pieds dans le « Village Nègre », et je foule donc un lieu qui est celui du « camp d’en face ». Moi je n’ai que des amis à Oran donc ce n’est pas un problème, mais à l’époque, l’histoire est différente.
Ce sont quelques milliers de m² d’inconnu et d’inquiétude qui se trouvent contenus à l’intérieur des barbelés. Difficilement imaginable.
Mais la journée a commencé au Parc Municipal.
La seule véritable surprise lorsque je passe le portail qui se trouve à deux pas de la cité dar el-Hayet, c’est la terre. Rouge. Jusqu’ici, je ne l’avais pas encore touchée des yeux, si je puis dire, je n’avais pas encore vérifié la couleur incroyable de ce sol. Les personnes qui y vivent n’éprouvent jamais le besoin de relater ce genre de choses. On a droit à des millions de photos de Santa-Cruz et du front de mer alors qu’il faudrait commencer par là : la terre. Les habitants (ou les anciens habitants) ne se rendent plus compte qu’Oran est une ville sonore (donc personne ne l’écrit) et ils ne se rendent plus compte non plus que la terre est rouge (donc personne ne l’écrit). Il faut arriver d’une autre planète comme moi pour être marqué par ces deux évidences et les relater comme je le fais ici.
Donc voici mes deux premières impressions fortes : Oran résonne des appels à la prière 5 fois par jour et la terre est rouge. Rouge profond. Difficile à photographier et à restituer (non je ne retoucherai pas l’image pour rendre à la terre sa couleur véritable). Tant pis.
Sinon, malgré les nombreux amoureux, le parc est un peu triste. On y déambule désarçonné. Il manque quelque chose ; peut-être des enfants qui jouent, des ballons qui roulent, des poissons qui nagent, des paons qui font la roue. J’ai préféré la Roseraie ou le jardin Othmania (ex. parc Maraval), plus petits, mais plus vivants.
Et puis encore la vérification du problème des photographies : elles étirent tout et font paraître les distances plus grandes. Là où je pensais qu’une longue allée séparait le palais des sports de la piscine olympique qui se trouve au centre du parc, je constate finalement que les deux édifices ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Avec le temps, je finirai même par me méfier des mes propres images mentales (photographiques), et je rectifierai de plus en plus souvent la réalité avant qu’elle n’apparaisse sous mes yeux, pour rapprocher davantage les éléments entre eux.
On sort du parc côté Bvd Houha Mohamed (ex. Mascara) puis bifurcation vers M’dina J’dida (Ville Nouvelle), Boulevard de l’Indépendance (ex. Joseph Andrieu), et passage obligé par le Boulevard de la Palestine (ex. Industrie) pour jeter un œil sur ce qu’il reste des Musée Nessler, Caravansérail, et Manufacture de tabac Juan March Ordinas.
Le cas des noms de rue est un vrai problème pour moi.
Je voudrais connaître à la fois tous les noms et ne pas avoir à faire ce que j’ai fait au-dessus, à savoir couper mes phrases par des parenthèses parce que le rythme de lecture s’en trouve brisé. C’est d’autant moins simple que tout le monde connaît les anciens noms et cherche à me faciliter la tâche si bien que je ne connais pas les nouveaux. Mais dans quel mesure sont-ils utilisés, d’ailleurs ? Ce n’est pas simple à évaluer. Quelques cas isolés comme la rue d’Alsace-Lorraine ont réellement changé de nom dans leur utilisation quotidienne (rue Mohamed Khemisti), donc je suis capable d’intégrer le nouveau, mais dans l’ensemble, on dirait que les anciens noms flottent toujours dans l’air. Sauf cas exceptionnels (le jardin Othmania ou la rue Khemisti), j’en resterai ainsi aux anciens noms.
Petit détour par l’ex.synagogue (devenue mosquée). J’aurais vraiment aimé pénétrer à l’intérieur mais elle était fermée. Ouverture aux heures de prières… et ce n’était pas l’heure. Donc nous prenons le Boulevard du 2ème Zouaves et nous descendons vers la place Kargentah, puis surtout vers la cathédrale.
Un lieu exceptionnel pour moi dans le sens où je le traîne dans mon inconscient depuis ma plus tendre enfance : une magnifique photo se trouvait encadrée dans le salon de mon grand-père, juste au-dessus du fauteuil qui lui était réservé, à Perpignan. Plus loin sur un autre mur, la célèbre vue d’Oran depuis Santa-Cruz me paraissait plus générale, associée à la famille toute entière, tandis que la cathédrale semblait pointer du doigt quelque chose de particulier ; comme si mon grand-père voulait faire savoir que pour lui, Oran, c’était d’abord et avant tout la cathédrale.
On continue les prises de conscience topographiques, il suffit de bien regarder la première marche des grands escaliers pour percevoir une dimension qui n’est pas simple à saisir autrement : le terrain est très en pente. La cathédrale ne peut pas l’être bien sûr, mais le terrain est fortement incliné tout le long du Boulevard du 2ème Zouaves. C’est vraiment flagrant lorsqu’on arrive sur la place. On a le sentiment que tout est penché !
Autre problème des photos : elles horizontalisent tout. Je comprends mieux pourquoi je n’arrivais pas à me mettre le relief en tête. En réalité, tous les photographes règlent leur cadre sur les horizontales de la cathédrale si bien que je n’imagine pas le sol en pente. Je n’imagine d’ailleurs rien en pente puisque tout est sans cesse cadré sur les lignes horizontales des bâtiments quels qu’ils soient.
L’expérience du corps est essentielle. Je suis en train de prendre contact avec Oran.
J’entre dans la cathédrale : elle est immense. C’est la première fois que je ressens une absence. Jusque là, c’était plutôt l’inverse, les distances paraissaient réduites et la ville comblée. Je m’attendais à de l’espace à l’intérieur de ce grand édifice, mais pas autant. Peut-être est-ce du au changement de mobilier. Les quelques tables et étagères pour les livres de cette nouvelle bibliothèque ne comblent pas le vide laissé par les bancs qui se trouvaient à l’emplacement avant 1962. Je dois aussi tenir compte de cette donnée lorsque je regarde les diverses constructions de la ville. Elles ne sont plus tout à fait les mêmes. Ni dedans, ni dehors. Et l’espace s’en trouve soudain bouleversé. Peu à peu, je comprends qu’il me sera difficile de saisir la ville des années 50 à partir de celle de 2014.
Mais est-ce bien grave ?
Contrairement à beaucoup de personnes qui pensent que je suis là pour les années 50, je ne désire que le présent. Je veux voir à quoi ressemble la ville, tout simplement, et non chercher à retrouver ce que je n’ai pas connu. Beaucoup de pieds-noirs se projettent en moi et m’imaginent en train de redécouvrir Oran comme ils le feraient eux-mêmes s’ils venaient en Algérie. Non, je viens là pour découvrir une ville et confronter des images à la réalité, parce que ma construction mentale finit par me plomber.
Les Algériens le comprennent bien, en revanche, probablement parce qu’ils n’ont pas ce problème de projection rétrospectif. Pour eux, je suis une sorte de touriste un peu spécial, qui connait bien la ville. C’est tout. Et accessoirement qui avait de la famille dans le coin. Pour les pieds-noirs, évidemment, c’est l’inverse. Je vais retrouver les lieux où ma famille a vécu et je vais tenter de deviner à quoi ressemblait la ville où ils évoluaient. Accessoirement, je vais visiter le coin, pour ma culture générale. D’une certaine manière, les deux ont raison. Mais je penche peut-être davantage d’un côté que de l’autre…
Un jour, Samir a écrit un merveilleux commentaire Facebook sur le post où j’annonce que j’ai enfin obtenu mon visa : « Il était temps mon vieux ! Depuis que tu navigues comme un ovni sur Oran… » Ça m’a bien fait rire. Parce que c’était tellement vrai. De ce point de vue-là, les deux côtés de la Méditerranée portaient le même regard sur mon cas atypique d’extra-terrestre : il était temps que j’atterrisse sur ma planète d’origine !
Après avoir jeté un œil sous la cathédrale, nous nous dirigeons vers la statue de la loi. La cité Lescure nous tourne le dos (j’aurai l’occasion d’y aller quelque temps plus tard) et nous commençons alors à marcher vers l’ancien évêché lorsqu’une vieille dame algérienne nous arrête subitement au niveau du square Garbé.
Ce n’est pas là mais plus tard, à l’hôtel Timgad, que je comprendrai le sens profond de ce que j’entends en écoutant cette dame.
Sur le moment, je ne saisis pas. Je me dis que je suis tombé sur une forte personnalité et je souris. Elle raconte ses souvenirs, sa maîtresse de Mers el-Kebir, les relations avec les Espagnols. Elle parle bien le Français et elle est pleine d’humour. Elle apostrophe un jeune Algérien qui passe, puis nous parle de nouveau, nous dit qu’elle devrait bientôt être en France même si rien n’est sûr. C’est mon premier contact avec des personnes qui ont connu l’Algérie Française à Oran.
Je suis obligé d’être très prudent lorsque j’évoque ces choses-là parce que je ne voudrais pas faire passer des idées simplistes à partir de dix cas qui ne représentent qu’eux-mêmes, mais je peux au moins dire une chose, c’est que toutes les personnes de cette génération que je rencontrerai par la suite me feront profondément penser aux pieds-noirs dans leur manière d’être. La même façon de s’enflammer, de s’exprimer, de bouger les bras, de rire, et surtout les mêmes souvenirs. Et comme j’ai pas mal travaillé ma mythologie oranaise, je connais ces souvenirs comme si je les avais vécus moi-même, ils se trouvent sur tous les sites français : la bilotcha, les fougueras de la St-Jean, le carrico, la calentica de 11h, la mouna de pâques, etc. Ces gens-là ont vécu la même enfance.
Après, j’imagine que les souvenirs sont différents au cœur de Ville Nouvelle, par la force des choses. Ou sur les bancs de la place des Victoires. Il n’empêche, il existe un monde commun à l’intérieur duquel des relations se sont nouées, indélébiles. Et toutes les horreurs et les idéologies du monde entier n’arriveront jamais à en effacer la trace dans les cœurs. Les souvenirs débordent à chaque fois que l’occasion se présente. C’est flagrant.
Après être passé au niveau de l’ancien évêché reconverti en conservatoire de musique (l’ambiance y est donc musicale, mais de cette musicalité très spéciale qui n’appartient qu’à ceux qui s’exercent et qui ne sont pas encore tout à fait au point) et après avoir fait un détour par le square de l’évêché et l’intérieur en réfection de la Maison du Colon, nous descendons quelques rues plus loin, puis Émile nous arrête devant ce qui fut son immeuble et qui est aujourd’hui l’hôtel Timgad (au niveau de l’ex. Grand Café Riche).
La nouvelle façade est devenue toute bleue mais recouvre seulement l’ancienne (invisible) qui n’a pas été touchée. Étrange idée. Lorsqu’on pénètre pour regarder ce qu’est devenu l’intérieur, on est rapidement accueilli par le gérant qui nous amène dans la grande salle où d’anciennes photos du Grand Café Riche sont accrochées au mur. Il en connait toute l’histoire et commence à nous expliquer. Mais il a affaire à Émile qui la connait aussi, et rapidement, la discussion s’engage sur le passé. Cet homme arrive tout droit de la Calère.
A partir de là, c’est fini, j’ai l’impression de me trouver à Nîmes Santa-Cruz. Les mêmes anecdotes qui reviennent. Je n’écoute plus, je regarde, sidéré. Je connais tout ça par cœur et ma tête turbine sans que rien n’y paraisse. Je fais le lien avec la dame croisée quelques minutes plus tôt. C’est tellement évident. Ce sont les mêmes personnes. En tous cas, ceux que le hasard vient de me mettre sous les yeux. Encore une fois, je ne généraliserai pas. Mais bon. C’est tellement flagrant avec le gérant de l’hôtel Timgad que je suis frappé. Jusqu’en 62, certaines populations mêlées ont vécu la même vie. Il a existé des espaces communs, que cela plaise ou non, à l’intérieur desquels se sont établies des relations fortes. Même si par ailleurs, des injustices flagrantes et mises en place depuis longtemps, ont mené au soulèvement d’une partie de la population. Il me fallait cette expérience-là, en Algérie, pour intégrer dans mon corps un peu de nuance.
L’homme nous invite ensuite à monter sur la terrasse de l’hôtel pour profiter de la ville.
On y a une vue exceptionnelle, inhabituelle. L’ex. librairie Laurent Fouques se trouve juste en dessous, la Compagnie Algérienne en face, et la verrue de Kargentah de l’autre côté. Heureusement, Santa-Cruz est là pour retrouver quelques repères, donc ça va. On nous offrira le thé avec insistance en redescendant, puis ce sera direction le front de mer, le Petit Vichy, et la promenade de Létang.
Second passage sur le front de mer et je suis toujours aussi étonné de cette sensation d’étreinte. Le front de mer est en recul par rapport à tout le reste. C’est très différent des fronts de mer qui longent l’Atlantique, par exemple, où l’on a le sentiment d’être proche de l’eau et le long d’une côte parfaitement rectiligne. Je regarde un peu mieux l’ensemble puis nous continuons notre route jusqu’au Petit Vichy.
C’est un lieu très particulier pour moi, parce qu’il est associé à un souvenir fort de ma mère qui a écrit quelques lignes là-dessus :
« Ma tante Emilie, ma grand-tante exactement, nous emmenait souvent le jeudi, mon frère et moi, à une espèce de petit square ou petit jardin public nommé « le petit Vichy » où il y avait des jeux, diverses choses pour les enfants et notamment un arabe qui vendait des « oublis », sorte de galettes délicieuses. Ma tante nous en achetait toujours à mon frère et à moi. Il y avait des mères avec leurs enfants, à ce « petit Vichy », mais pas foule quand même, j’avais toujours un peu peur dès qu’on était dans un endroit peu fréquenté. J’ai gardé cette légère peur depuis. »
Toujours le traumatisme de la guerre en fond…
Il suffit que j’aborde le sujet du Petit Vichy pour que toutes les langues se délient. Nombreux sont les pieds-noirs qui ont connu les oublis, le petit âne, et le manège, si bien que j’imagine ce parc joyeux même si j’ai maintes fois entendu que « ce n’est plus ce que c’était ». Et le fait est que ce n’est sûrement plus ce que c’était puisqu’il n’y a plus rien. Seulement quelques arbres et des bancs. L’ensemble m’a fait penser à un appartement en fin de déménagement : il ne reste plus que les murs, les pièces sont vides. Sauf que l’appartement devrait paraître plus grand, ce qui n’est pas le cas du Petit Vichy, qui du coup porte bien son nom. Je me demande comment il pouvait y avoir autant d’animation. Mais je veux bien croire la parole d’Émile qui m’a tout montré avec les mains : là, il y avait le marchand d’oublis, là les balançoires, là le petit âne qui faisait ce trajet, là le manège.
Il ne reste plus qu’à repartir. C’est peut-être le seul endroit où il a fallu que je fasse tourner mon imagination pour combler le vide laissé entre les arbres.
On descend ensuite quelques instants devant le théâtre de verdure puis on remonte pour prendre la rampe de Valès et s’engager dans l’entrée Est de la promenade de Létang.
Ce sont des lieux que je maîtrise à la perfection et qui ressemblent en tout point à ce que j’avais construit mentalement. Je me sens chez moi, je ne découvre rien, je me promène tranquillement. Ni plus grand ni plus petit que ce que j’imaginais, c’est comme si j’avais toujours marché dans ce jardin, et toujours regardé le port depuis là-haut. Peut-être le sentiment qu’il y a davantage de dénivelé que ce que je pensais entre les différents étages… Mais si peu, en fin de compte. Du détail. Si je veux être honnête, quand je me promène dans le jardin public de Bordeaux, je peux très bien me retrouver avec la sensation identique qu’il est plus grand que ce que j’imaginais.
En revanche, je m’attendais à davantage de mauvaises fréquentations, au regard de ce que j’avais lu à droite et à gauche. Or, mis à part quelques personnes à l’entrée du jardin, je n’ai rien vu de bien méchant. Et pas tant de détritus que ça non plus. A la limite, c’est plus problématique en contrebas du front de mer, on sent qu’il ne fait pas bon se promener. Mais Jardin de Létang, à part à minuit peut-être, on s’y ballade tranquillement et c’est plutôt agréable. Peut-être parce qu’il y a des rondes de police. On continue notre chemin en passant devant les restes de la porte du caravansérail pour filer jusqu’à la dalle consacrée à la poétesse Jeanne Dortzal que je tenais à voir. A l’extrémité du jardin, je m’arrête un instant sur un banc et j’admire la Marine et la place de la République. Il y a longtemps que je voulais profiter de cette vue. C’est un vrai bonheur et je suis presque surpris que ce lieu colle aussi bien à mon imaginaire.
Non vraiment, ce quartier aura été tel que je le concevais avant de venir, aucune surprise, que du bonheur de pouvoir enfin le regarder sous la lumière du soleil.
Je suis heureux de me promener le dimanche dans tous ces endroits que je tenais absolument à voir.
Je n’aurais pas voulu attendre le mercredi, date de mon retour de Tlemcen. J’aurais passé mon temps à me demander à quoi ressemble vraiment Oran. Là, je m’en mets plein les yeux, et je prends des réserves pour les deux prochains jours où je serai éloigné de la ville.
La sortie de la promenade de Létang donne sur la rue de Turin, et en remontant quelques mètres, on tombe sur la Mosquée du Pacha, rue Philippe. De nouveau de la chance, le gardien se trouve là, et nous permet d’entrer. Je ne vais pas tout décrire, ce serait ridicule, mais l’espace intérieur me parait gigantesque. Comme dans toutes les mosquées, en fait, peut-être parce qu’il n’y rien au sol. Tout au fond, une bibliothèque avec quelques archives qui date de l’époque du Bey, on aimerait pouvoir les toucher. Et puis moment suprême, je ne sais pas qui a soufflé l’idée, il est possible de monter sur la terrasse… Vraiment ? En vérité, tout est possible, il suffit de demander.
C’est aussi qu’aucun organisme ne s’occupe réellement des monuments de la ville.
Partout où je passe, je me dis que pour des raisons de sécurité basiques, ce serait impossible en France. N’importe qui peut tomber des escaliers qui mènent sur la terrasse, et n’importe qui peut tomber de la terrasse en se penchant. Je ne vais pas me plaindre, je sais la chance que j’ai. Le jour où les monuments seront réellement pris en charge par la ville, tous les anciens pleureront probablement parce qu’il ne sera plus possible d’accéder aux sites de manière aussi privilégiée. On sera content que quelqu’un s’en occupe, mais on regrettera le bon vieux temps où il était possible de se promener sur la terrasse de la mosquée du Pacha, voire de grimper dans son minaret octogonal. En tous cas moi je le regretterai. Parce que ce sont des moments privilégiés.
Nous quittons enfin les lieux par la rue Philippe et en bifurquant sur la gauche un peu plus haut pour rejoindre le palais du Bey.
Mais nous arrivons trop tard, il doit être 16h30, les heures de visite s’achèvent. J’ai à peine le temps de photographier ce bâtiment que tout le monde appelle la verrue que nous repartons pour la place d’armes histoire de nous reposer un peu devant un verre. Je commence à avoir sérieusement mal aux jambes, on marche depuis le matin.
Que décidons-nous pour ce soir ? La Corniche ?
Les avis sont partagés : il est tard, on ne va pas pouvoir en profiter, etc.
Moi, je pourrais rouler toute la nuit. De toute façon, je ne la connais pas, la Corniche… Un dernier coup d’œil vers la place d’Armes et c’est reparti. On prend la voiture, c’est Samir qui conduit cette fois-ci, et passage obligé par le haut du Derb avec vue sur la Marine. Puis les toutes petites rues dans le ravin. Il n’a peur de rien. Je me revois encore rouler place de la Perle et je me demande toujours comment il a fait pour circuler au milieu de tout ce monde. Déjà qu’à pied c’est compliqué, alors en voiture, il faut y être pour croire que c’est possible.
Mais je dévore des yeux ce coin de la Marine qui est le lieu que je préfère à Oran.
La nuit commence à tomber lorsque je passe devant Mers el-Kebir, Aïn el-Turk, Cap Falcon, Les Andalouses.
Je suis content d’avoir pu saluer le Rocher de la Vieille qui est une image d’enfance. J’avais du voir une photo quelque part. Et je commence à rêvasser à la fenêtre de la voiture. J’ai vu tant de choses, ce premier jour entier, plus que je ne l’imaginais.
Demain, ce sera Tlemcen et les ancêtres lointains.
Une autre histoire.
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