Je me demande parfois si je connais un peu Oran.
Certaines photos m’égarent complètement alors que je suis sensé avoir sous les yeux un quartier connu.
Même en fronçant les sourcils, je ne reconnais absolument rien, et il faut me dire là, là, là et là, il y a ça pour que je commence à me dire oui, peut-être, en effet… sans grande conviction.
Ça n’arrive pas toujours, mais quand ça arrive, je comprends à quel point je suis pris dans des représentations photographiques convenues ; il suffit qu’on me présente la ville sous un autre angle et je suis perdu.
En règle générale, cette perte de repère arrive lorsque la ville est photographiée depuis le sud.
La première fois, je cherchais Dar el-Chakouri et je me suis retrouvé confronté à la ville photographiée depuis le sud-est ; j’ai eu beaucoup de mal à m’y retrouver.
Heureusement, Émile se trouvait dans le coin et m’a tout décortiqué pâté de maison après pâté de maison.
La seconde fois, je me suis retrouvé confronté à la vue du ravin de Raz el-Aïn prise depuis la mi-pente du Murdjajo, à vol d’avion, au coucher du soleil.
Ce sont les fameuses photographies de l’aviateur Jean Bonnemaison.
Là aussi, il m’avait fallu l’aide de Toufik pour me sortir du labyrinthe inextricable dans lequel je pataugeais lamentablement.
Plus récemment, Abdelbaki m’a mis sous les yeux une vieille carte postale qui montre le ravin Raz el-aïn avec des cultures en étage et, peut-être, tout au fond, un mince filet d’eau qui circule sous un pont, non loin d’une maison à deux coupoles qui serait, d’après le guide Bel Horizon des monuments historiques d’Oran, la résidence secondaire du Bey d’Oran.
Selon Toufik, il s’agirait peut-être de la maison du muphti d’Oran puisque la résidence d’été du Bey était à Misserghin.
Si quelques bonnes âmes peuvent nous éclairer sur ce point.
Camus considérait que la ville tournait le dos à la mer -selon l’expression désormais célèbre- et il n’avait pas tout à fait tort puisqu’on photographie le plus souvent Oran depuis la mer. Cela dit, c’est une caractéristique de toutes les villes côtières j’imagine, il suffit de penser à New-York.
Si bien que par le sud, ces villes deviennent subitement méconnaissables, tout au moins pour celui qui n’y a jamais mis les pieds, ce qui est mon cas. Il me manque la connaissance intime qui permet de regarder une ville par tous les angles sans être perdu.
Mais je peux me retrouver sans repères même sur une image de la ville, de face, si cette image est trop ancienne. Le cas classique est celui d’une gravure de la Calère que j’ai mise ci-dessous.
Je n’ai pas été capable, seul, de repérer l’hôpital Baudens et l’église St-Louis, il m’a fallu l’aide d’Al Gérianie puis de Toufik.
J’ai beau savoir qu’il y a un ravin, je n’arrive pas à me mettre en tête qu’il y a du dénivelé. Pour moi, tout est au même niveau, le niveau de la mer.
Je connais la source de ce problème, il est dû à ma connaissance d’Oran, dont la base depuis des mois se trouve être le plan de la ville.
Je n’arrive toujours pas à me mettre en tête, par exemple, que depuis la rue de Mostaganem jusqu’au Front de mer, la pente est raide, et que c’est la raison pour laquelle les enfants de 1950 (et probablement les enfants actuels) pouvaient descendre à fond la rue de Verdun sur des petits chariots à roulettes fabriqués artisanalement et dénommés carricos.
A quel moment pourrai-je considérer que je connais un peu la ville et que les manques ne sont guère que des lacunes et non des contre-sens ?
Probablement quand j’aurai mis les pieds sur le sol.
Il y aura la mémoire du corps : mes jambes se rappelleront qu’elles sont montées par la place Hoche pour rejoindre le plateau St-Michel, et que du côté du vieil Oran, ça descend après l’église St-Louis.
A ma décharge tout de même, la partie basse de la Calère qui débouche derrière le tunnel de Boutin (église St-Louis) a été détruite au début des années 80, il ne reste plus rien du quartier de la rue de l’Arsenal. A part l’école Emerat, perdue au milieu du terrain vague de la Calère dont le peu qui reste menace de s’effondrer. Les photos de Pierre Galy qui datent de 2009 sont édifiantes.
Deuxième bonne raison pour ne pas traîner si je veux avoir un aperçu du plus vieux quartier d’Oran.
J’espère que ce sera encore là quand j’y serai.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)