Je me rappelle très bien avoir écrit dans un article « Oran n’est pas fait pour les vaches ».

J’y croyais dur comme fer tellement l’herbe était rase et la terre rouge.

Et puis je suis tombé sur la photo de Ramzy Bensaadi.

Il y a déjà un moment que je suis à la recherche d’un regard différent sur la ville, histoire d’équilibrer les sensations, de faire contre-poids aux cartes postales du début de siècle, ou aux photos de Danmarlou.

 

J’étais à deux doigts de me perdre dans un monde historique, sans lien avec le ciel de tous les jours, en apesanteur au milieu de nulle part.

Et je savais que c’était le piège.

Que je devrais me révolter à un moment ou un autre contre l’excès d’images anciennes, contre l’excès de paroles graves, contre l’excès de mes ancêtres, sous peine d’être englouti par quelque chose qui n’est pas moi.

J’ai donc pris du recul -il y a quelque temps déjà- pour regarder tout ça d’un peu plus loin. Les photos de Ram Zy m’ont offert cet espace.

Aucune d’entre elles n’est là pour se montrer. C’est le contraire des cartes postales, verrouillées de toutes parts, qui sont sensées montrer mais qui ne montrent rien, parce qu’il n’y a pas d’espace pour le regard.

On observe les rues, les immeubles, les monuments. A quelques rares exceptions près, on ne pénètre pas dans le sujet.

Au mieux, on survole. Au pire, on est exclu.

La photo de Ram Zy attire notre œil dans les débris d’une ville en plein désastre.

Ramzy Bensaadi photographie le Derb

Objectivement, le Derb est dans un état lamentable. C’est l’information. On la connait, on l’a déjà vue mille fois, et chacun en tire très exactement la conclusion qui lui plait, en rapport avec ses convictions. Mais la photo va plus loin que l’information.

Elle montre la vie dans le délabrement.

Les paraboles font signe quand tout semblait détruit, un homme est au travail, une femme s’affaire, le Derb n’est pas fini.

 

En apparence, la ville est morte ; au fond du cadre, elle vit encore.

L’herbe n’est pas sèche, les vaches ruminent. La peinture s’écaille dans les escaliers ; un bras levé porte une flamme.

Ram Zy sait que sa ville est un désastre.

Il ne masque rien.

Pas de faux-semblant, pas de tourisme ou de réhabilitation, pas de discours, montrer la ruine à l’état brut, et puis partir en quête.

A la recherche du détail qui redonne vie.

Parce qu’il y a toujours un détail. Quelle que soit la photo.

Dire c’est beau, actuellement, c’est mentir. Ce n’est pas beau, c’est laid. Plus exactement dans un sale état. Mais dire la ville renaît, c’est dire une vérité.

La vérité d’un jeune algérien qui voit sa ville renaître après la décennie 90.

 

Pour les Français d’Algérie par contre, cette vérité n’a aucun intérêt, je dois bien me rendre à l’évidence.

La plupart attendent autre chose. D’autres vérités.

Moi qui ne suis ni Français d’Algérie, ni Algérien, je flotte dans l’entre-deux, avec d’autres attentes. Qui ne trouvent pas de réponses.

Je fouille partout. Je regarde les lieux, les noms, les immeubles, les places, les monuments. Comme si je reconnaissais quelque chose.

Mais quoi ?

Un vieil amnésique perdu dans les décombres
D’une mémoire qui ne lui appartient pas.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

 

Merci à Ramzy Bensaadi d’avoir autorisé la publication de cet article.



 

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